POLITIQUES PUBLIQUES | Rétrospective de la session de printemps 2024
Au cours des trois dernières semaines, les parlementaires ont débattu d'une multitude d'affaires. Prenez donc cinq minutes pour vous pencher sur les dossiers les plus pertinents pour les prestataires de services en faveur des personnes ayant besoin de soutien, dossiers qui ont été traités au Palais fédéral et que nous avons sélectionnés pour vous.
Une victoire historique à la Pyrrhus et une évacuation très humaine dans son imperfection
Le succès de la 13e rente AVS dans les urnes a été qualifié d’historique. Pour la première fois, une initiative visant le développement des assurances sociales réussissait à rassembler une majorité de votant·e·s. Considérer cette décision comme le début d’un tournant social dans le monde politique restera toutefois vraisemblablement une idée en l’air. Il est sans doute plus réaliste de s’attendre à une série de batailles sur les modalités de financement de cette 13e rente AVS. Et si la solution devait passer par une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée, il faudrait tenir compte du fait que, matériellement, l’épaississement du portemonnaie des rentières et des rentiers se trouverait alors réduit en raison de l’augmentation des prix à la consommation. Et les péripéties de la Berne fédérale ne s’arrêtent pas là: le succès a été au rendez-vous lorsque le Parlement a organisé un exercice d’évacuation et que personne n’a cette fois-ci été oublié à l’intérieur du Palais fédéral. Le comportement de certain·e·s parlementaires n’a toutefois pas toujours été très reluisant, surtout lorsqu’il s’est agi de céder la priorité à leurs hôtes ainsi qu’aux participant·e·s à des séances urgentes. Les trois Confédérés statufiés à l’entrée du bâtiment n’en ont pas vraiment eu de quoi être fiers. La politique fédérale est tout simplement très humaine – y compris dans son imperfection.
21.3715 Mo. Glanzmann «Programme d’impulsion pour prévenir la violence sur les personnes âgées»
Versatile en diable, la Confédération avait élaboré avec les cantons un concept commun de programme d’impulsion pour prévenir la violence à l’encontre des personnes âgées. Mais deux ans plus tard, la tourmente menace: la Confédération ne souhaite finalement pas s’impliquer. Elle ne s’estime soudain pas compétente en la matière, tandis le financement ne serait pas clair. En d’autres mots, elle met le doigt sur le problème, mais rien n’est fait. Pour rappel: selon les estimations, une personne sur cinq de plus de 60 ans est concernée par une forme de violence, d’abus ou de négligence.
Le Conseil des États a cependant finalement suivi le Conseil national à une très courte majorité et a malgré tout adopté une motion décisive. Le Conseil fédéral doit désormais la mettre en œuvre – à contre-cœur. Mentionnons tout de même à titre anecdotique que les cantons ont contribué à ces tergiversations: en 2022, la Conférence des gouvernements cantonaux a indiqué qu’elle soutenait pareil programme d’impulsion national – dans la mesure où la Confédération acceptait de le financer. Le diable gît dans les détails.
24.3003 Mo. CSSS-N «Moderniser la LIPPI. Garantir l’égalité dans le choix du logement ainsi qu’un soutien ambulatoire approprié pour les personnes handicapées»
Le Conseil national a adopté à une large majorité de 121 voix contre 52 cette motion pour une réforme, attendue depuis longtemps, de la loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides (LIPPI). Cette motion se concentre sur le logement. Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir choisir librement et de manière autonome leur forme d’habitat ainsi que leur lieu de résidence et bénéficier du soutien nécessaire à cet effet. Mais le chapitre de la LPPI consacré au domaine du travail nécessite lui aussi une révision. Le cadre légal actuel n’est en effet pas propice à une réelle prise en compte de la formation professionnelle initiale et continue ainsi qu’à une intégration sur le lieu de travail ouverte sur le marché du travail global. Selon la LIPPI, les cantons doivent certes mettre à disposition des offres d’emploi, mais c’est la Confédération qui est compétente pour la prise de mesures individuelles via la LAI. Cette distribution de compétences relative au marché du travail global vient compliquer l’intégration sur le lieu de travail des personnes en situation de handicap. Il y a à cet égard un indubitable retard à combler. Mais il convient néanmoins de saluer le premier pas qui vient d’être accompli par le Conseil national en vue de réviser de la LIPPI. Et de recommander chaudement au Conseil des États de lui emboîter le pas.
22.3179 Mo. Wyss «Hébergement des «care leavers». Pour que les besoins de chacun priment la limite d’âge»
L’hébergement des «care leavers» en institution ou en famille d’accueil s’achève en règle générale à leur 18e anniversaire. Faute de financement adéquat, les jeunes sont littéralement mis à la porte et doivent du jour au lendemain gérer leur quotidien eux-mêmes. Il serait judicieux que cette transition soit plus douce pour qu’ils aient la possibilité de se lancer avec succès dans leur «vie d’adulte». Certains cantons proposent des solutions transitoires. Mais, au niveau national, il n’y a pas d’égalité des chances pour les jeunes concernés l. La motion visait une solution uniforme en Suisse.
Le Conseil national a débattu trop longuement d'autres affaires, il n'a plus eu assez de temps pour la motion Wyss. Et comme la motion attend depuis plus de deux ans d'être traitée, elle est maintenant classée sans bruit. A moins que le bureau du Conseil ne fasse une exception.
21.4089 Mo. Lohr «Améliorer l'intégration sur le lieu de travail. Les employeurs doivent aussi pouvoir déposer des demandes visant à adapter l’environnement de travail»
Cette proposition largement soutenue est restée en sommeil pendant deux ans avant que le Conseil national n’ouvre la voie à l’automne 2023 à cette idée visant à améliorer l’intégration au travail des personnes en situation de handicap. D’après la LAI, les personnes en situation de handicap peuvent demander un moyen auxiliaire s’ils ont besoin d’un soutien dans leur activité professionnelle. La mise en œuvre actuelle présente souvent des difficultés aux employeurs. La motion vise à donner aux employeurs la possibilité d’adresser directement auprès de l’AI une demande de moyen auxiliaire sur le lieu de travail pour les employé·es en situation de handicap. Et comme le Conseil des Etats s'est montré compréhensif, cette petite correction avec une poussée positive doit maintenant être mise en œuvre dans la LAI.
23.4343 Mo. CSSS-N «Examen et harmonisation des termes «lieu de résidence» et «domicile» dans la LAMal afin que les compétences soient clairement réglées» et
23.4344 Mo. CSSS-N «Les personnes admises dans un établissement médico-social doivent pouvoir conserver leur domicile»
Si une commune ne dispose pas d’un EMS sur son territoire, les personnes âgées dans le besoin sont, le cas échéant, contraintes de déplacer leur domicile dans une autre commune ou un autre canton. Un tel changement peut être perturbant pour les résidentes et les résidents, qui perdent ainsi le lien avec leur cadre de vie. Pour les communes et les cantons d’origine, cela peut entraîner des coûts supplémentaires considérables: les impôts doivent en effet être réglés là où se trouve le domicile civil. Mais la commune et le canton d’origine demeurent compétent·e·s pour assurer le financement résiduel du coût des soins. Les deux motions doivent apporter plus de clarté. Le Conseil national a adopté les deux motions. Il reste maintenant à attendre le vote du Conseil des États.
23.4326 Po. CSSS-N «Transformer l’allocation pour impotent en une allocation de prise en charge des personnes âgées. Nécessité de réformer le système et possibilités de mise en œuvre»
Le postulat traite une thématique appelée à gagner en importance au vu de l’évolution démographique: le financement de l’accompagnement (prise en charge) des personnes âgées. L’objectif d’une réforme de l’allocation pour impotent devrait être de permettre aux personnes concernées de rester autonomes le plus longtemps possible et d’éviter ainsi certains frais de santé. Comment garantir que des personnes ayant besoin de soutien, qu’elles soient âgées ou en situation de handicap, puissent bénéficier des mêmes prestations si celles-ci correspondent à une nécessité avérée? Une question complexe à laquelle un intéressant rapport devrait apporter des réponses. Un avis partagé par le Conseil national, qui a accepté le postulat de sa commission
23.061 OCF. «Révision LDEP (Financement transitoire et consentement)»
Le Parlement a accepté le financement transitoire du dossier électronique du patient. Une minorité du Conseil national aurait volontiers passé la vitesse supérieure en contraignant d’ores et déjà les fournisseurs de prestations du domaine ambulatoire à se rattacher au DEP. Mais la résistance était grande. Les médecins ne devront donc pas se soucier avant 2027 de leurs patient·e·s titulaires d’un DEP, au moment de l’entrée en vigueur d’une révision ultérieure et plus profonde de la loi. Il ne reste pour le moment plus qu’à espérer que le soutien financier supplémentaire qui vient d’être décidé permettra de résoudre ce problème à plus court terme en accélérant l’introduction à large échelle du DEP.
22.071 Conseil fédéral «Code pénal et droit pénal des mineurs. Modification»
Parmi les adaptations discutées se trouve notamment la possibilité d’interner les jeunes ayant commis certaines infractions déterminées. Or il est particulièrement problématique d’ordonner l’internement d’adolescentꞏeꞏs après exécution de leur peine car, en raison de leur jeune âge, on ne peut établir un pronostic criminel fiable – et leur internement durable péjore fortement leur potentiel d’évolution positive. Après le Conseil des États, le Conseil national a néanmoins adopté cet objet, qui se trouve ainsi ancré dans le droit pénal des mineurs.
20.332 Iv. ct. Fribourg «Modèle fribourgeois d’assistance pharmaceutique dans les EMS»
Les coûts de la santé connaissent chaque année d’impressionnantes augmentations. Selon le baromètre des préoccupations de l'institut de recherche gfs, ces coûts font aujourd’hui partie des soucis les plus importants des Suissesses et des Suisses. en dépit de cela, le Parlement a manqué une occasion rare d’économiser des coûts tout en procédant à un minimum d’adaptations légales: un modèle ayant eu cours dans le canton de Fribourg permettrait en effet d’économiser près de 30% du coûts des médicaments administrés dans les soins de longue durée. Il ne s’agit pas là d’une chimère, mais d’une solution éprouvée et justifiée pendant 15 ans dans le canton de Fribourg. Après trois ans d’incessants allers-retours entre le Conseil national et le Conseil des États, la Chambre haute a aujourd’hui mis un point final à l’affaire: l’initiative cantonale a été rejetée par 21 voix contre 20, ce qui est très frustrant.
21.3891 Mo. Gugger «Encourager les entreprises sociales»
Les entreprises sociales ne se concentrent pas uniquement sur leur propre profit, mais contribuent également au bien-être de la société en matière environnementale, sociale et culturelle. D’autres pays européens ont déjà pris des mesures ces dix dernières années dans un contexte de crises économiques pour élaborer des stratégies de promotion de ce type d’entreprises dans le cadre de leurs politiques sociales, économiques et environnementales. Mais en Suisse, jusqu’à maintenant, rien n’a été fait Le Conseil national s’était laissé du temps avant d’adopter la motion Gugger. Pour sa part, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États ne voyait, elle, pas le problème et estimait que le droit des sociétés n’entraverait pas l’activité des entreprises sociales tandis que le droit des marchés publics offrirait aujourd’hui déjà la possibilité d’encourager les entreprises sociales. Le Conseil des États s’est maintenant rangé à son avis et a rejeté la motion.
23.4348 Po. CF-N «Porter à au moins 100 pour cent le taux de couverture des coûts de l’Office fédéral du service civil»
Sur le plan financier, les civilistes représentent une main d’œuvre bon marché. Leurs établissements d’affectation bénéficient donc d’un avantage concurrentiel. Afin d’équilibrer le recours à cette main d’œuvre, les entreprises concernées sont tenues par la loi de verser une contribution spécifique. À l’heure actuelle, celle-ci couvre entre 90 et 91% des frais d’engagement effectifs des civilistes. La Commission des finances du Conseil national souhaitait que soit vérifié s’il est possible d’augmenter cette contribution de 2,20 francs (de 20,80 francs à 23 francs par jour de service). Les frais d’engagement seraient ainsi intégralement couverts – et les charges financières augmenteraient pour les établissements d’affectation des civilistes, dont font partie ceux offrant des prestations aux personnes ayant besoin de soutien. La commission n’avait donné aucune motivation claire à sa requête. Mais cela n’a pas empêché le Conseil national d’adopter le postulat.
L’intelligence artificielle fait peu à peu son entrée au Parlement.
23.4492 Mo. Gysi «Intelligence artificielle au travail. Renforcer les droits de participation des travailleurs»
23.4517 Intp. Gugger «Intelligence artificielle et participation des employés. La loi est-elle lacunaire?»
Ces deux interventions parlementaires ont pour objectif d’évaluer les possible conséquences du recours à l’intelligence artificielle (IA) et aux systèmes algorithmiques sur le lieu de travail, en particulier en ce qui concerne la santé du personnel et la protection des données. Elles soulignent l’importance des droits de participation afin que la confiance des travailleuses et des travailleurs dans la numérisation croissante ne se trouve pas amoindrie. Dans sa prise de position, le Conseil fédéral constate que l’IA ne se développe pas dans une zone de non-droit: la loi sur la participation, la loi sur l’égalité, la loi sur la protection des données, l’interdiction constitutionnelle de la discrimination ainsi que la loi sur le travail offrent aujourd’hui déjà toute une série de mécanismes de protection des travailleuses et des travailleurs. Des vérifications sont néanmoins actuellement en cours afin de savoir si le droit suisse est suffsamment armé pour relever les défis liés à l’IA: une analyse de la question devrait être achevée fin 2024 afin de savoir dans quelle mesure l’utilisation croissante de l’IA doit être régulée.
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