participation democratique

PARTICIPATION | Voter, cela s’apprend!

11 janvier 2021 / Rocco Brignoli
La participation démocratique est un droit très important. Pourtant, les personnes en situation de handicap ont moins accès à ce droit. Quels obstacles rencontrent-elles? Comment peuvent-elles les dépasser? Barbara Fontana-Lana nous livre son analyse et des pistes d’action.

Voter pour ou contre des multinationales responsables, choisir ses représentant·e·s politiques ou se faire élire dans un comité d’entreprise, cela s’appelle la participation démocratique. C’est un droit très important. Pourtant, les personnes en situation de handicap ont moins accès à ce droit. Quels obstacles rencontrent-elles? Comment peuvent-elles les dépasser? J’ai posé ces questions à Barbara Fontana-Lana de l'Université de Fribourg. Barbara Fontana-Lana  est experte sur les questions d’autodétermination et de formation à la participation citoyenne.

«La participation démocratique est très puissante.»

Madame Fontana-Lana, vous dites que la «participation démocratique» est importante. Comment définissez-vous la participation démocratique et pourquoi est-elle importante pour la mise en place de représentations du personnel?

La participation démocratique, c’est pouvoir voter. C’est-à-dire pouvoir donner un avis qui compte sur un sujet, voter en faveur d’une personne, mais aussi se faire élire soi-même.

Cette participation peut prendre plusieurs formes. Il peut s’agir de votations populaires, comme les votations fédérales ou cantonales. Ou de votations d’ordre privé, comme lorsqu’on élit les membres d’une commission du personnel dans une entreprise ou les membres d’un comité dans une association ou dans un centre de loisirs. La participation démocratique peut même s’exercer au sein d’un groupe d’amis et amies, quand par exemple on met au vote des destinations de vacances communes pour retenir celle qui a obtenu la majorité des voix.

La participation démocratique est très puissante. D’une part, elle permet à une personne d’exprimer son opinion. Elle la sollicite même. D’autre part, elle engage la communauté concernée à écouter et à considérer cette opinion.

«Les obstacles aux droits de participation à la vie politique et d’expression sont encore bien présents en Suisse pour les personnes avec des déficiences intellectuelles ou des retards de développement.»

Dans vos recherches, vous remarquez que les personnes avec des difficultés cognitives ont moins la possibilité d’exercer leur droit de participation démocratique…

En effet, pour les personnes avec des déficiences intellectuelles ou des retards de développement, la reconnaissance de ce droit reste encore trop souvent à défendre. Elles sont encore victimes de discriminations en ce qui concerne l’exercice de la participation démocratique.

Cette population demande pourtant à pouvoir s’exprimer et à être écoutée. Comme ne cesse de le rappeler le mouvement des autoreprésentants et autoreprésentantes avec leur fameux slogan «rien pour nous sans nous».

Le rapport alternatif d’Inclusion Handicap de 2017 sur l’implémentation en Suisse de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées – la CDPH – le souligne bien: les obstacles aux droits de participation à la vie politique et d’expression sont encore bien présents en Suisse pour cette population.

On le voit en particulier dans ses commentaires des articles 12 et 21 de la CDPH. Le premier concerne la reconnaissance de la personnalité juridique. Et le second concerne la liberté d’expression et d’opinion, ainsi que l’accès à l’information.

«Il est erroné de sous-évaluer l’impact des discriminations indirectes. Leurs conséquences peuvent être aussi importantes que celles des discriminations directes.»

À quoi ressemblent ces obstacles? Vous avez des exemples?

Il s’agit pour la plupart de discriminations de nature indirecte. Au contraire d’une discrimination directe, qui traite explicitement de manière moins favorable une personne par rapport à une autre dans une situation comparable, la discrimination indirecte est implicite. L’individu a des droits, mais il ne peut pas les utiliser.

Or, il est erroné de sous-évaluer l’impact des discriminations indirectes. Les conséquences pour les personnes avec des déficiences intellectuelles ou des retards de développement peuvent être aussi importantes que celles des discriminations directes. Voire plus importantes, car ces discriminations indirectes sont souvent plus difficiles à reconnaître et donc à éliminer.

«Résultat: on ne pense pas que la personne soit capable de voter, ni même intéressée.»

Pouvez-vous nous donner d’autres exemples de discriminations indirectes pour la participation démocratique?

Il y a d’une part les obstacles liés à l’accessibilité et à la compréhension du processus de vote. Par exemple, quand une personne en fauteuil roulant ne peut pas se rendre au local de vote, car celui-ci est accessible uniquement par des escaliers. Ou quand les informations pour les sujets soumis au vote ne sont pas compréhensibles. Ou encore quand les procédures de vote ne sont pas claires.

Il y a ensuite les obstacles liés à la pauvreté voire l’absence d’un réseau social et de soutiens. Quand une personne ne peut pas s’informer, discuter d’un sujet de votation ou comparer des arguments, elle a moins de chances de se forger un avis et de participer au vote.

Il y a aussi les obstacles liés aux représentations négatives et dévalorisantes que se font les autres de la personne avec une déficience intellectuelle. L’image de la personne est figée par un modèle clinique et déficitaire du handicap qui considère la personne en situation de handicap uniquement sous l’angle de ses difficultés et déficiences, indépendamment de ses ressources, de ses capacités et des soutiens contextuels à disposition. Résultat: on ne pense pas que la personne spit capable de voter, ni même intéressée.

Enfin, il y a les obstacles liés aux choix politiques de la société ne considérant pas la thématique du droit de vote pour cette population comme une priorité. Si le canton de Genève a sollicité en novembre 2020 le peuple à s’exprimer pour donner le droit de vote à cette population, d’autres cantons ont choisi de ne pas entrer en matière.

«Il faut éduquer et former les personnes en situation de handicap, afin de leur donner une culture de la participation.»

Comment peut-on surmonter ces obstacles?

L’égalité du droit d’accès à l’éducation et celle du droit d’accès à la formation sont les aspects incontournables pour agir contre ces obstacles.

Il faut éduquer et former les personnes en situation de handicap, afin de leur donner une culture de la participation. Personne ne naît capable de voter ni de représenter une collectivité, on s’éduque à ces activités exigeantes et complexes.

Il ne suffit donc pas d’offrir l’occasion à des personnes avec une déficience intellectuelle ou des retards de développement de prendre part à une votation pour que cette activité soit bel et bien investie et qu’elle soit un moment réel de participation.

Il faut créer une culture systématique de la participation. Soit:

  • Créer des possibilités d’expression et d’écoute.
  • Aménager des lieux de vote faciles d’accès.
  • Donner des informations faciles à comprendre, par exemple en FALC.
  • Proposer des soutiens, individualisés si nécessaire.
  • Offrir des formations continues sur la participation.

«Ce n’est pas parce qu’on parle plus facilement qu’on a les meilleurs arguments ou idées.»

Lors d’une étude menée pour INSOS sur les élections au sein des comités de personnel, nous avons remarqué deux grandes difficultés au bon déroulement de ces élections. Premièrement, les candidats et candidates ont de la peine à comprendre ce qu’est l’intérêt général. Deuxièmement, ce sont souvent celles et ceux qui parlent le mieux qui se font élire. Que faire contre ces difficultés?

Ces difficultés mettent en évidence, une fois de plus, qu’une participation efficace s’apprend. Le rôle de représentant d’une collectivité comporte des devoirs et des responsabilités qu’il convient d’abord d’expliquer. Et il est nécessaire d’entraîner les personnes qui souhaitent devenir représentantes.

Il s’agit de proposer un contexte qui véhicule clairement l’idée que tout un chacun peut participer et surtout qu’il peut apprendre à le faire, et cela indépendamment de ses habiletés actuelles ou de ses limitations.

En ce qui concerne, la prise de parole, le livre «Formerla personne avec une déficience intellectuelle à l’autodétermination et à la participation citoyenne» propose des outils facilitanst. Par exemple les «règles de discussion» qui permettent de mieux répartir la parole.

En effet, ce n'est pas parce qu’on parle mieux et plus facilement qu’on a les meilleurs arguments ou idées.


INSOS a publié «Step by Step», une brochure pour comprendre et mettre en œuvre la participation dans les entreprises sociales. Qu’est-ce qu’elle apporte, d’après vous?

La brochure «Step by step» est très utile pour questionner la façon dont sont organisées la participation et les votations dans une entreprise sociale. Elle indique quels contextes sont favorables à la participation.

Et elle montre les étapes à envisager pour arriver à une bonne participation en entreprise. Elle permet, par exemple, de réfléchir à rendre la participation plus accessible. Elle invite à informer les personnes qui veulent être candidates ou à garantir la confidentialité.

«Se rencontrer, partager les connaissances, réfléchir ensemble, voilà le chemin qu’il faut tracer!»

INSOS a aussi créé un réseau «Participation dans l’entreprise sociale». Il rassemble des pionniers de la participation de différents horizons: des employeurs, des personnes qui représentent le personnel avec un handicap ou qui représentent des syndicats, qui viennent du monde académique et de celui du handicap. Vous avez participé le 25 septembre 2019 à la première rencontre. Pouvez-vous dire votre motivation?

Il s’agit d’une belle initiative. Ce réseau a pour avantage de faire se rencontrer des partenaires de différents milieux sur un même sujet: la participation en entreprise.

Ce réseau permet des collaborations et des synergies. Se rencontrer, partager les connaissances, réfléchir ensemble, voilà le chemin qu’il faut tracer!

Cette manière de travailler ne va pas de soi. Il y a parfois des divergences, mais en fin de compte, elle aboutit à des propositions pertinentes et viables. Je ne peux qu’encourager cette initiative.

 

Notre interlocutrice

Barbara Fontana-Lana est chargée d'enseignement et de recherche au Département de pédagogie spécialisée de l'Université de Fribourg et experte sur les questions d’autodétermination et de formation à la participation citoyenne.

Manuel pour l’autodétermination et la participation

Elle est coauteure du manuel «Former la personne avec une déficience intellectuelle à l’autodétermination et à la participation citoyenne».

Ce manuel vous permet de former les personnes (accompagnées et accompagnantes) au processus de vote. Elles y apprennent des stratégies pour savoir pour qui ou sur quoi voter, comment, pourquoi et avec quels soutiens.

Vous y trouvez des indications concrètes pour

  • Recueillir des informations sur un sujet ou un candidat ou une candidate.
  • Se former une opinion.
  • Discuter avec d’autres pour comparer son opinion, savoir la défendre, savoir la remettre en question, savoir l’ajuster.
  • Reconnaître les signes de manipulation.
  • Prendre des décisions.
  • Utiliser différentes modalités de vote (par exemple, à main levée, par bulletin- secret ou pas).
  • Gérer les victoires et les défaites (au niveau des émotions, de sa déception, du respect des parties ayant des opinions différentes, des minorités).
 

Pour aller plus loin

Pour former les adultes avec des déficiences intellectuelles ou des retards de développement au processus de vote, Barbara Fontana-Lana vous propose les outils suivants: 

  • «Formerer la personne avec une déficience intellectuelle àl’autodétermination et à la participation citoyenne» (Fontana-Lana et al., 2017).
    Bientôt disponible aussi en italien et en version e-book mise à jour et augmentée.
    Voir un extrait et commander
  • Programme international d’éducation à la citoyenneté démocratique (PIECD) (Tremblay, 2006) conçu par et avec des personnes ayant une déficience intellectuelle.
  • ParticipaTIC, plateforme numérique d’apprentissage pour défendre les droits des personnes en situation de handicap et favoriser la participation sociale.
    Fiche de présentation (PDF)
    Lien sur le site ParticipaTIC
  • Ergänzungslieferung zum Handbuch Teilhabe durch Arbeit. Ergänzbares Handbuch zur beruflichen Teilhabe von Menschen mit Behinderung, Lebenshilfe.
    Commander le guide (uniquement en allemand)


Et elle vous conseille les ouvrages de référence suivants:

  • Didac-ressources.eu (2018, 7 février).  Lutter contre les discriminations».
    Visiter le site ressource Lutter contre les discriminations
  • Fontana-Lana, B., & Petitpierre, G. (2020). «Peut-on exercer le droit de vote quand on est porteur d’une déficience intellectuelle?» Revue suisse de pédagogie spécialisée, 1, 7-15.
  • Fontana-Lana, B., Angéloz Brügger, P., & Petragallo Hauenstein, I. (2017). «Former la personne avec une déficience intellectuelle à l’autodétermination et à la participation citoyenne. Institut de Pédagogie curative, Université de Fribourg (Suisse).
  • Inclusion Handicap (2017). Rapport Alternatif. (22 septembre 2020).
  • Tremblay, M. (2006). «Pour l’exercice des droits civils, des droits économiques, sociaux et culturels et des droits politiques». Présenté au Programme international d’éducation à la citoyenneté démocratique avec les personnes présentant une déficience intellectuelle ou un handicap mental (pp. 1-17). airhm, OQD.
  • Tremblay, M. (2011). «Le mouvement d’émancipation des personnes ayant des limitations fonctionnelles: de la reconnaissance des droits à la participation citoyenne». Revue Développement humain, handicap et changement social, 19(2), 7 - 22.
  • Tremblay, M., Fontana-Lana, B., Hudon, I., Blais, M., & Racette, B. (2020). «Stratégies d’émancipation pour la participation politique et le développement des compétences citoyennes des personnes ayant une déficience intellectuelle». Revue suisse de pédagogie spécialisée, 1, 23-31.

 

 

Série d’articles de blog «Participation» et brochure «STEP BY STEP»

En 2019, INSOS Suisse a mené dans 17 entreprises d’insertion professionnelle («ateliers») des entretiens avec les collaborateurs, les employeurs et les assistants sur le thème de la participation. Il en a résulté la brochure «Step by Step – la représentation du personnel en 10 étapes», publiée à l’été 2020. La brochure explique ce qu’est la participation, soutient la mise en place de représentations du personnel et aide à contrôler la qualité de la participation. Des contributions issues de la pratique et du domaine scientifique complètent les contenus de la brochure dans la série d’articles de blog «Participation». Ils ont vocation à servir de source d’inspiration et illustrent des questions d’actualité sur le thème de la participation.

Télécharger la brochure «Step by Step»

Votre commentaire