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PARTICIPATION | La plus-value d’un comité d’atelier puissant

18 juin 2021 / Anita Heinzmann
En Allemagne, les employé·es des ateliers pour personnes en situation de handicap élisent un comité d’atelier pour représenter leurs intérêts. Depuis 2017, les comités d’atelier disposent également de droits de codécision. Jürgen Thewes, membre du comité de «Werkstatträte Deutschland e. V.» et Viviane Schachler, chercheuse à l’Université de Fulda (Hochschule Fulda), expliquent comment la codécision se pratique et ce qui caractérise un comité d’atelier influent.

Comment la participation s’organise-t-elle en Allemagne?

Viviane Schachler: Dans les entreprises en Allemagne, il existe des organes chargés de représenter les intérêts des employé·es, par exemple les comités d’entreprise. Pour les employé·es avec handicap en ateliers (Werkstätten für behinderte Menschen ou WfbM), que l’on abrège «employé·es en atelier», des comités d’atelier ont été créés. Chaque WfbM élit un comité d’atelier tous les quatre ans.
Seuls les employé·es en atelier ont le droit de vote et peuvent être élu·es, ceci afin de s’assurer que les employé·es avec handicap sont en mesure d’exprimer leurs intérêts eux-mêmes, en toute indépendance des autres employé·es sans handicap. L’ordonnance sur la participation en atelier (Werkstätten-Mitwirkungsverordnung ou WMVO) régit, entre autres, les droits et les devoirs des comités d’atelier ainsi que la procédure d’élection.

Jürgen Thewes: En Allemagne, les comités d’atelier sont organisés au niveau du Land sous forme de communautés de travail des comités d’atelier (Landesarbeitsgemeinschaften der Werktatträte ou LAG WR). Les LAG WR sont composées de déléguées et de délégués élus issus des comités d’atelier du Land concerné.
Au niveau fédéral, les 16 LAG WR forment l’association «Werkstatträte Deutschland e. V.». Le comité de cette association est composé de membres de comités d’atelier dont je fais partie. Notre tâche est de représenter les intérêts des employé·es en atelier vis-à-vis de la société, des instances politiques et des comités d’ateliers. Nous sommes notamment présents dans des cercles politiques et dans le Groupe de travail fédéral des ateliers de personnes avec handicap (Bundesarbeitsgemeinschaft WfbM).
Nous publions des prises de position, des brochures et des documents de travail destinés aux comités d’atelier. Nous organisons également des colloques et des événements. Enfin, nous entretenons des contacts avec des organisations d’aide en autoreprésentation des personnes en situation de handicap dans d’autres pays d’Europe.

«La grande différence entre la participation et la codécision est que la codécision s’exerce sur un pied d’égalité.»


Comment le droit de codécision en atelier a-t-il vu le jour?

Jürgen Thewes: Au départ, la représentation des employé·es en atelier était incohérente et se faisait sur une base volontaire. En 2001, l’ordonnance sur la participation en atelier (WMVO) a été adoptée afin de créer un ensemble de règles uniformes et contraignantes.
Toutefois, la WMVO ne prévoyait que des droits de participation non contraignants et aucun droit de codécision, contrairement aux comités d’entreprise. La grande différence entre la participation et la codécision est que la codécision s’exerce sur un pied d’égalité. Malgré les droits de participation des employé·es en atelier, l’atelier avait donc toujours le dernier mot dans toutes les décisions. En 2010, les comités d’atelier ont décidé qu’il était temps que cela change et ont fondé un groupe de travail. Enfin, en 2016, le droit de codécision des comités d’atelier a été inclus dans la loi fédérale sur la participation (Bundesteilhabegesetz) et la WMVO a été modifiée.

Viviane Schachler: La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) stipule que les personnes en situation de handicap ont des droits égaux en matière d’emploi et de participation. Ainsi, l’introduction de droits de codécision contraignants pour les comités d’atelier était-elle non seulement bienvenue, mais elle relevait aussi d’une tactique politique judicieuse. En effet, la CDPH encourage elle aussi un marché du travail ouvert, inclusif et accessible.
Dans la perspective de la loi fédérale allemande sur la participation, le Comité des droits des personnes handicapées (Comité ONU) a même appelé à la suppression ou à la dissolution progressive des ateliers pour personnes handicapées. À cet égard, il était politiquement cohérent d’accéder enfin à la demande de longue date des comités d’atelier en matière de droits de codécision.

«Le travail des comités d’atelier au niveau local et suprarégional n’est pas toujours suffisamment financé.»


Quels obstacles les comités d’atelier rencontrent-ils dans leur travail?

Jürgen Thewes: Dans une entreprise, il y a toujours des gens qui, à tous les niveaux, mettent les bâtons dans les roues du comité d’atelier. Cependant, pour que ce dernier fasse bien son travail, il faut que tout le monde se serre les coudes.
Un autre obstacle porte sur ce qui n’est pas réglé par les instances politiques et les organismes de financement, à savoir les prestataires d’aide sociale et d’aide à l’intégration. C’est devenu flagrant pendant la pandémie de coronavirus. Contrairement à beaucoup d’autres secteurs professionnels, la compensation des salaires perdus des employé·es en atelier a tout d’abord été négligée.
Par ailleurs, la mise en œuvre de l’ordonnance sur la participation aux ateliers (WMVO) pose problème. De nombreux droits qui nous sont conférés par ce règlement ne sont pas correctement appliqués dans tous les ateliers : le droit à l’information est par exemple souvent oublié.

Viviane Schachler: Le travail des comités d’atelier au niveau local et suprarégional n’est pas toujours suffisamment financé. Par exemple, les membres des comités d’atelier signalent régulièrement qu’ils ne reçoivent pas le financement ou le soutien dont ils ont besoin. Tous les ateliers n’ont pas encore non plus pris conscience de la portée des droits de leurs comités, voilà encore un problème. Jusqu’à présent, seul un atelier pour personnes handicapées sur trois a mis en place un organe de conciliation, nécessaire pour négocier sur pied d’égalité entre le comité d’atelier et la direction de l’atelier.

«Les comités d’atelier jouissent d’une meilleure reconnaissance et que la société s’est ouverte à leurs problèmes.»


Et quels sont les succès?

Jürgen Thewes: Pour les « Werkstatträte Deutschland », les subventions que nous avons obtenues sont un grand succès puisque nous avions des difficultés de liquidités depuis la création de l’association. Depuis 2020, notre budget est directement assuré par les organismes de financement.
La reconnaissance du travail des comités d’atelier est également une belle réussite. Entre-temps, de nombreuses demandes nous parviennent, qu’elles émanent des journaux, des syndicats ou de la communauté scientifique. On constate que les comités d’atelier jouissent d’une meilleure reconnaissance et que la société s’est ouverte à leurs problèmes.

Viviane Schachler: Certains comités d’atelier concluent des accords sur les conditions de travail avec la direction et contribuent ainsi à de nombreuses améliorations. Par exemple, un comité d’atelier a obtenu que les employé·es de l’atelier puissent prendre congé par demi-journée à la fois. L’an dernier, j’ai été très heureuse d’apprendre que Roland Weber, l’ancien président de « Werkstatträte Deutschland », a reçu la Croix fédérale du mérite (Bundesverdienstkreuz). Un comité d’atelier l’avait déjà proposé pour cette distinction. Cet exemple montre à merveille ce que les comités d’atelier peuvent réaliser grâce à leur engagement tout en étant aussi reconnus par la société.

«Je déplore que les ateliers soient souvent dépeints dans la société comme hostiles à l’inclusion.»


Quelle est à votre sens la plus-value d’un comité d’atelier fort?

Jürgen Thewes: Un comité d’atelier influent est non seulement utile aux employés d’atelier mais aussi à l’atelier dans son ensemble. Je déplore notamment que les ateliers pour personnes handicapées (WfbM) soient souvent dépeints dans la société comme hostiles à l’inclusion, sans que les détracteurs des WfbM aient sérieusement discuté de leurs besoins avec les personnes qui y travaillent. L’image que l’on a des ateliers est de ce fait faussée. Mais un comité d’atelier influent peut aider à corriger cette image en amenant les parties prenantes à mieux communiquer leurs besoins aux organismes de financement, au monde politique ou à la société.

Viviane Schachler: D’un côté, le travail dans un comité d’atelier influent offre aux protagonistes divers processus d’autonomisation (empowerment) et d’apprentissage, dans la mesure où la personne avec handicap configure activement son environnement de travail. Ainsi, travailler au sein d’un comité d’atelier favorise l’acquisition de compétences et de capacité d’action, et crée un cadre favorable pour se développer.
L’échange suprarégional des comités d’atelier est un bon exemple de la manière dont les employé·es en atelier apprennent les uns des autres. D’un autre côté, les ateliers ont absolument besoin d’un comité d’atelier influent s’ils veulent continuer à justifier leur pertinence. Dans le cadre de l’inclusion et de la mise en œuvre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, les ateliers sont appelés à se transformer en prestataires de services axés sur la société. Les ateliers qui disposent d’un comité d’atelier influent se rapprochent de cet objectif.


Quels sont les sujets d’actualité?

Jürgen Thewes: Le système de rémunération des employé·es en atelier doit être révisé. «Werkstatträte Deutschland e. V. » a élaboré une proposition appelée « Allocation de base pour les personnes en incapacité de travail partielle permanente (Basisgeld für dauerhaft erwerbsgeminderte Menschen)». En outre, nous sommes en année électorale. D’une part, les prochaines élections des comités d’atelier sont imminentes, et d’autre part, nous avons les élections au Bundestag. Pour ces dernières, nous rédigeons actuellement des questions destinées aux partis, ce qui nous permettra de savoir comment ils se positionnent face à nos préoccupations.
Nous développons également un concept de formation pour les comités d’atelier. Et, bien sûr, la pandémie de coronavirus continue à nous occuper. Nous travaillons en effet pour que les ateliers restent ouverts et soient reconnus comme faisant partie intégrante du système, et pour garantir les salaires des employé·es.

«Je rêve d’une organisation faîtière européenne regroupant tous les comités d’atelier car de nombreuses lois sont élaborées au niveau européen.»


Que souhaitez-vous pour les comités d’atelier?

Jürgen Thewes: Je souhaite aux les ateliers suisses une aussi bonne structure d’autoreprésentation qu’en Allemagne. Je rêve d’une organisation faîtière européenne regroupant tous les comités d’atelier car de nombreuses lois sont élaborées au niveau européen. Une organisation faîtière européenne, parlant d’une seule voix, a plus de chances de se faire entendre que de nombreuses petites associations d’ateliers.

Viviane Schachler: Je souhaite à tous les prestataires de services aux personnes en situation de handicap d’avoir des comités d’atelier influents, intégrés et gages de qualité. Cela permettra de fait de coopérer pleinement, tant au sein des organisations qu’entre elles.  

 

Nos interlocuteurs

Jürgen Thewes, membre du Comité de «Werkstatträte Deutschland e. V.»

Jürgen Thewes travaille depuis 1993 au Werkstattzentrum für behinderte Menschen (WZB) à Spiesen-Elversberg. En 1995, il est élu pour la première fois au comité d’atelier.
Depuis 2011, il est membre du comité de « Werkstatträte Deutschland ».
Son sujet de prédilection est la mise en réseau internationale des comités d’atelier.
Pour plus d’informations: werkstatträte-deutschland.de

Viviane Schachler, collaboratrice scientifique à l’Université de Fulda (Hochschule Fulda) depuis 2017
Viviane Schachler a étudié les sciences sociales et travaille dans le domaine de l’aide à l’autonomie des personnes en situation de handicap. Elle met la dernière main à sa thèse de doctorat sur la représentation des intérêts dans les ateliers pour personnes handicapées qu’elle défendra à l’Université Humboldt de Berlin.

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