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Désinstitutionalisation | Points de vue

12 décembre 2021 / M. Leiser, P. Saxenhofer, C. Rumo
Que signifie la désinstitutionnalisation pour les structures sociales et médico-sociales? Des représentant·es des domaines des personnes en situation de handicap, des personnes âgées et des enfants et jeunes partagent leur point de vue sur les tendances qui se dégagent.

«La désinstitutionnalisation va de l’avant. Et c’est bien ainsi.»

Markus Leser CURAVIVA

Markus Leser, futur directeur de CURAVIVA, domaine des personnes âgées

Revenons un peu en arrière: dans les années 1960, une kyrielle d’études ont paru à propos de la gérontologie écologique. Cette théorie décrit une compréhension interdisciplinaire des interactions entre les personnes et leur environnement, et soutient l’idée que la vieillesse et le vieillissement s’inscrivent toujours dans des «environnements», lesquels ne se limitent de loin pas au seul espace bâti. Au contraire, c’est la capacité d’adaptation de la personne aux facteurs environnementaux (un concept défendu par Lawton et Kahana dans les années 1970), qui constitue une condition de la qualité de vie des personnes âgées. Il est ici principalement question de se concentrer sur les besoins individuels des personnes âgées et d’encourager leurs ressources existantes. Pouvons-nous parler de tendance lorsque nous discutons de sujets que nous connaissons depuis quelque soixante ans déjà?

En conséquence à ces travaux gérontologiques fondamentaux, un appel à l’ouverture des institutions a retenti dans les années 1970. Dans son livre «Wege aus der Zitadelle» (trad. pour sortir de la citadelle), Konrad Hummel fut l’un de ces responsables de home qui a activement milité pour cette ouverture. Depuis, les homes et les institutions pour personnes âgées n’ont cessé de bouger et de s’adapter aux évolutions actuelles – jusqu’à devenir des centres de quartier qui coordonnent entre eux des espaces publics, semi- privés et privés.

Parfois, je me demande si, dans le paysage politique suisse, tout le monde en est conscient. En tout cas, la LAMal d’aujourd’hui n’est pas un cadre juridique qui a écrit en lettres d’or l’individualité ni la promotion des ressources. L’association de branche CURAVIVA s’est emparée de la question depuis un certain temps déjà, avec le développement du modèle d’habitat et de soins. Actuellement, une troisième version de la «Vision Habitat Seniors» est en cours. Le secteur des établissements médico-sociaux et des institutions sociales n’a pas attendu le coronavirus pour opérer un changement dans le domaine des personnes âgées.

Cette évolution en faveur de formes d’habitat et d’accompagnement flexibles doit être modelée et CURAVIVA s’engagera pour ce faire. Nous devons nous ouvrir à de nouveaux modèles d’habitat et d’accompagnement plus flexibles et plus diversifiés. «La résolution de problèmes sociaux implique toujours que nous nous efforcions de changer le statu quo, tant sur le plan politique que social», a un jour affirmé le psychologue Paul Baltes. Et c’est exactement ce que nous voulons.

 

«Le mot «institution» transporte des idées négatives et dépassées sur notre branche.»

Saxenhofer Peter

Peter Saxenhofer, directeur d’INSOS, domaine des personnes en situation de handicap

Il est vrai que le mot «désinstitutionnalisation» est dans l’air du temps. On le trouve dans la presse, dans les conversations et aussi dans les agendas politiques. En effet, la politique en faveur des personnes en situation de handicap promeut l’idée d’une «désinstitutionnalisation».

Cette attente se fait de plus en plus sentir aujourd’hui et représente un certain défi pour nos institutions membres. En même temps, beaucoup d’institutions n’ont pas attendu ces sollicitations externes pour penser la «désinstitutionnalisation». Elles réfléchissent depuis longtemps à décloisonner leurs offres, à les rendre plus flexibles et plus variées et à mieux soutenir et accompagner les personnes dans leur capacité à choisir et à participer aux décisions. Elles changent leur façon d’accompagner et varient leurs offres d’habitat, de travail et de soins. Elles créent des groupes d’autoreprésentant·es qui font avancer cette évolution.

Cette dynamique accélère le processus et peut-être que dans dix ans nous ne parlerons plus d’«institution», ni d’«atelier» d’ailleurs, mais que nous aurons d’autres mots – plus proches de la réalité – pour nommer ces services. Suivant cette évolution, INSOS remplace petit à petit le mot «institution» par celui de «prestataire».

C’est important, car les mots reflètent des schémas de pensée et le mot «institution» transporte des idées négatives et dépassées sur notre branche. Je pense à celles d’«aliénation», d’«exclusion» et de «paternalisme». Cet héritage tend à occulter ce que font aujourd’hui les institutions: soutenir l’autodétermination et la participation, et offrir un accompagnement socioprofessionnel adéquat pour répondre aux besoins de vie (travail, logement, soins, etc.) de personnes.

J’ai parfois l’impression que dans les débats, la désinstitutionnalisation a pour seule vision la fermeture des institutions, parce qu’on estime – de facto – que tout lieu d’habitat collectif ou de travail accompagné est mauvais et coûte trop cher. Cette façon de voir la désinstitutionnalisation est dangereuse. Elle remet en question l’accompagnement socioprofessionnel.

Pour INSOS, la désinstitutionnalisation, c’est se débarrasser des aspects négatifs des institutions d’autrefois, pour soutenir et établir de nouvelles formes de services à la personne, co-construites avec les personnes en situation de handicap.

C’est vrai que tout n’est pas encore fait. Il y a encore du travail. Mais la branche s’active. Et pour l’accompagner, nous avons créé le Plan d’action CDPH. Avec ce Plan d’action, nous mutualisons les forces pour mieux former les (futur·es) accompagnant·es, mettre en place la participation, améliorer la communication, diversifier les offres et développer leur perméabilité.

Et je suis sûr que dans dix ans, nous serons encore plus avancés. Mais pour réussir cette forme de «désinstitutionnalisation», il faut avoir les conditions-cadres et le financement qui la permettent. Et c’est là où je vois encore une limite.

Alors je retourne la question: la société est-elle prête à partager ses espaces de vie? Le marché du travail est-il prêt à offrir des places de travail adaptées et adaptables? Le monde politique est-il prêt à flexibiliser les conditions-cadres et le financement? Si oui, alors nous pourrons ensemble réaliser une vraie désinstitutionnalisation.

 

«Chaque prestation de soutien devrait se concentrer sur l’autonomisation des personnes.»

Cornelia Rumo Wettstein YOUVITA

Cornelia Rumo, future directrice de YOUVITA, domaine des enfants et jeunes

Au cours des dernières années, l’appel à la désinstitutionnalisation – surtout dans les domaines du handicap et de l’âge – s’est fait plus fort. Bien que le terme ne soit pas utilisé en tant que tel dans le domaine des enfants et jeunes, les ambitions qui y sont liées jouent ici également un rôle.

Ainsi, en de nombreux endroits, la promotion en faveur de prestations ambulatoires est un objectif implicite et parfois même explicite de la gestion de l’offre. Compte tenu de l’objectif de cette promotion et de la mise en place d’incitations, on peut se poser la question de la motivation. Si c’est le bien individuel de l’enfant qui est au cœur des réflexions au moment du choix d’une prestation de soutien, la promotion de diverses options de soutien est toute légitime. Si ce sont des considérations financières qui importent, la décision de l’enfant et de son entourage ne sera pas satisfaite.

Les foyers offrent un cadre de vie soutenant lorsque les parents ne sont pas en mesure d’assumer leur rôle, même avec un soutien important. Plutôt que de tendre vers une désinstitutionnalisation, il faut étudier la possibilité de développer des offres plus flexibles de l’aide à l’enfance et à la jeunesse, de façon à donner à chaque enfant ce dont il a besoin. Afin de favoriser la perméabilité des offres, les réseaux impliqués doivent être rapprochés, du moins très bien coordonnés. Les différents champs d’intervention doivent être prêts à partager leur savoir professionnel. Naturellement, c’est plus vite dit que fait.

En ce qui concerne l’aide à l’enfance et à la jeunesse, il importe de rechercher, au moyen d’indicateurs et de valeurs empiriques, comment obtenir le plus grand bénéficie possible pour les personnes concernées, dans chaque cas individuel. Chaque prestation de soutien devrait se concentrer sur l’autonomisation des personnes. Pour ce faire, les mesures utiles à mettre en œuvre doivent être décidées au cas par cas, et non pas généralisées, et encore moins suivre la logique du système de financement.

La prise de conscience s’est renforcée quant à la nécessité de disposer de solutions plus souples, adaptées à chaque personne, avec des possibilités de participation. Certains prestataires d’offres de soutien ont déjà franchi le pas, d’autres sont en passe de le faire. Il est souhaitable que ces évolutions majeures soient portées par le politique et le législateur.

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