Communiquer avec la CAA

CAA | Difficultés et perspectives

25 mai 2022 / Stéphane Jullien
Quelle est la situation de la CAA dans les institutions de Suisse romande? Que faut-il encore faire? Et comment? Nous avons fait le point lors de la journée d’échange romande à propos de la Communication Alternative et Améliorée (CAA). Et nous vous proposons un résumé et des pistes d’action.

Organisée par la Commission romande d’ISAAC Francophone et INSOS, la journée s’est déroulée le 8 octobre 2021. Cet article reprend les points forts de cette journée.

Les 3 difficultés rencontrées par la CAA

La première difficulté que rencontre l’intégration de la CAA dans les institutions est la présence de ruptures dans le parcours institutionnel des personnes utilisant la CAA.

1. Manque de transmission entre les institutions

Risques de rupture lors des transitions entre les institutions

À ce jour, il n’existe pas de procédure spécifique de transition entre institutions pour les personnes utilisant la CAA. Il existe des usages généraux concernant ces transitions. Le projet individuel, pédagogique et/ou thérapeutique, est transmis à la nouvelle institution et des rapports finaux sont rédigés. Des stages d’observation dans la nouvelle institution sont proposés afin de déterminer si elle est adaptée et des visites de la future équipe peuvent être proposées dans l’institution actuelle. Ces procédures ne sont cependant pas toujours respectées.

La CAA ajoute des exigences à ces transitions. Les moyens de CAA supposent une expertise. La nouvelle équipe doit connaitre le ou les moyens de CAA utilisés par la personne ainsi que les méthodes d’implémentation (modélisation, guidances …). Lorsque c’est nécessaire, des formations d’équipe et des accompagnements doivent être déployés avant l’arrivée de la personne utilisatrice dans la nouvelle institution.

Risques de rupture lors des transitions entre les institutions pour enfants et adultes

La dotation en personnel est plus réduite dans les institutions accueillant des adultes que chez celles accueillant l’enfant et les professionnel·les ont moins de temps à consacrer aux projets de communication. Les professionnel·les disposent aussi de temps de formation continue plus limité que chez l’enfant. Les connaissances et les pratiques de la CAA sont généralement moindres. 

  • Les spécialistes de CAA sont en nombre plus restreint dans les institutions pour adultes. De nombreuses institutions accueillant des adultes ne disposent pas de poste de logopédistes. Quand des postes sont prévus, ils ne sont pas toujours pourvus et les pourcentages sont généralement restreints. Les logopédistes sont par ailleurs également impliqués dans ces institutions dans les prises en charge de la déglutition. Ensuite, les externes d’une institution, en accueil de jour, ne peuvent généralement pas profiter des ressources thérapeutiques de l’institution. De plus, les possibilités d’accompagnement proposées par des intervenant·es indépendant·es et hors de l’institution ont un financement limité de l’Assurance-invalidité (AI) et sont difficiles à mettre en place du fait du manque de personnes indépendantes formées.
  • Manque de CAA dans les institutions spécialisées dans la petite enfance, les crèches, les Services Éducatifs Itinérants (SEI), le personnel n’est pas assez informé et sensibilisé aux différents moyens de CAA existants et n’est pas assez formé à leur emploi. Il en est de même dans les classes non spécialisées dans lesquelles sont intégrés des enfants utilisant la CAA. La quantité limitée de mesures de soutien spécialisé en classe dans les différents cantons et la rareté des thérapeutes comme les logopédistes rendent la situation plus délicate.

2. Manque de transmission au sein d’une institution

La question de la transmission se pose également à l’intérieur d’une même institution.

La personne peut être amenée à changer de classe/groupe, de groupe de vie ou d’atelier. En l’absence de concept de CAA et de procédure de déploiement des formations, l’ensemble de la nouvelle équipe peut ne pas être formé dans le ou les moyens de CAA utilisés.

La personne rencontre plusieurs intervenant·es au cours de sa journée (Maîtres socio-professionnel·les (MSP), éducateurs et éducatrices et enseignant·es spécialisé·es, ergothérapeutes et physiothérapeutes…). Il faut assurer que ces intervenant∙es puissent interagir correctement avec la personne et collaborent efficacement ensemble.

  • Les professionnel·les doivent savoir comment s’adresser à elle, savoir lui offrir des opportunités de communication et savoir comment guider et modéliser l’utilisation du moyen de communication. En d’autres termes, les différents partenaires de communication de la personne doivent être accompagnés et formés.
  • Les informations sur l’évolution de l’utilisation des outils doivent circuler entre les différentes équipes avec des outils comme les passeports de communication et les cahiers de vie. Les interventions de CAA sont nécessairement des projets transdisciplinaires mettant en avant la collaboration entre les professionnel·les, l’accompagnement et la formation pour et par les différent·es intervenant·es.
  • Les projets de CAA d’une personne utilisatrice sont portés par sa personne référente dans l’institution. Or, dans une institution, la constitution des équipes peut être plus ou moins stable. Des institutions peuvent connaitre un turn-over important. La personne référente peut quitter l’institution ou le groupe. Les projets doivent donc être portés par l’ensemble de l’équipe. La taille des institutions et la sensibilisation insuffisante des responsables d’institution, au handicap de la communication et aux moyens de CAA pourraient encore constituer un frein au déploiement de la CAA.

3. Manque de transmission avec les familles

Chaque projet de CAA doit inclure les différents partenaires de communication, professionnel·les et familles.

Les familles peuvent recueillir des informations précieuses sur l’utilisation des moyens de CAA dans le quotidien de la personne. Elles doivent pouvoir s’impliquer dans l’évaluation, le choix des moyens de CAA et des objectifs d’intervention. Elles participent à la généralisation des objectifs dans les différents contextes. Les familles et les personnes proches aidantes doivent pouvoir bénéficier d’une formation et d’un accompagnement adapté.

Esquisses: 7 actions possibles

 

1. Créer un réseau romand de CAA

Le premier objectif de la journée du 8 octobre a été de constituer un réseau à propos de la CAA au niveau romand. Le niveau romand parait être un bon niveau pour organiser ce réseau.
Sous mon impulsion, l’association ISAAC Francophone a récemment mis en place une commission romande.

Cette commission romande vise à:

  • relayer les projets d’ISAAC Francophone sur le sol romand, à diffuser les formations et les activités de cette association.
  • fédérer les personnes concernées par la CAA en Suisse romande, notamment pour échanger sur les bonnes pratiques.

Cette commission regroupe désormais 13 membres issus de différents cantons romands. Il s’agit de professionnel·les thérapeutes (logopédistes, ergothérapeute, psychologue, éducatrices et enseignantes spécialisées, docteurs en logopédie et en sciences du langage, doctorante en sciences de l’éducation…) ou impliqués dans des organisations comme Active Communication, la FSCMA, Autisme Suisse romande et Pro Infirmis Vaud. Une membre est maman d’un adolescent présentant un TSA. Les professionnel·les travaillent auprès de personnes, adultes et enfants, qui présentent un TSA, une déficience intellectuelle, un polyhandicap ou des troubles neurologiques acquis.

Cette commission propose de travailler différents dossiers:

  • la réalisation d’un concept de CAA Romand pour les institutions.
  • la scolarisation des personnes utilisant des moyens de CAA.
  • la transition vers l’âge adulte.
  • la question de la certification.

Le réseau veut à l’avenir s’élargir et va chercher de nouveaux partenaires. Par exemple le Bureau du Langage Simplifié de Pro Infirmis Fribourg, les Services Éducatifs Itinérants (SEI), les associations cantonales (par exemple l’AVOP et AIMEA), les associations professionnelles (par exemple de logopédistes ou d’ergothérapeutes), les financeurs (offices cantonaux de l’Assurance invalidité) et administratifs (départements cantonaux responsables de l’inclusion des personnes en situation de handicap, de l’enseignement spécialisé, de la prévoyance sociale et de la santé), les hautes écoles ou universités de pédagogies spécialisées, logopédie ou ergothérapie. Voire des conférences intercantonales, par exemple la Conférence des
directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales.

2. Élaborer un concept institutionnel de CAA

Les participant·es de la journée ont souligné la nécessité d’inscrire la CAA dans le processus institutionnel. Les différentes procédures doivent être définies et officielles. Elles sont définies et actualisées par un groupe de référence CAA responsable de l’élaboration d’un concept CAA, et non pas seulement par des personnes individuelles, susceptibles de quitter l’institution.

La Commission romande d’ISAAC se propose de rédiger un premier modèle qui pourrait être adapté et déployé dans les différentes institutions romandes. Le concept définit des niveaux de compétence des membres d’une institution ou d’une organisation:

  • L’ensemble des employé·es d’une organisation accueillant des personnes en situation de handicap de la communication doivent avoir suivi une formation de base à la CAA et y être sensibilisé.
  • Les personnes qui interviennent directement auprès d’une personne utilisant la CAA doivent être formées aux méthodologies associées à ces moyens et aux aspects opérationnels concernant ce ou ces moyens.
  • Des personnes-ressources animant un groupe de compétence relative à la CAA dans l’institution doivent bénéficier de formations plus avancées à propos de la CAA, être engagées dans une éventuelle procédure de certification et participer à un réseau à propos de la CAA.

La définition de rythmes distincts de formation dans l’institution variant en fonction du niveau de compétence. Par exemple:

  • Les employé·es qui commencent, les personnes qui font des remplacements et les personnes qui ont besoin de rappels devraient bénéficier chaque année d’une formation courte à propos des principes de base de la CAA et d’une sensibilisation aux différents moyens utilisés. Cette formation pourrait être proposée par des personnes-ressources internes à l’institution.
  • Les personnes qui accompagnent directement une personne utilisant la CAA doivent pouvoir bénéficier d’une formation spécifique à ces moyens et aux méthodologies qui y sont associées. Cette formation pourrait être proposée par des personnes internes ou des formateurs et formatrices certifiées.
  • Les personnes-ressources doivent pouvoir bénéficier d’un temps pour animer le groupe CAA afin de travailler le concept CAA de l’institution, de participer à des réseaux et des conférences à propos de la CAA, de participer à une veille scientifique et d’accompagner et évaluer les projets de CAA de l’institution. Ils doivent également pouvoir bénéficier de formations plus avancées à propos de la CAA.

Le concept de CAA place la personne utilisant la CAA au centre des projets de CAA. Les professionnel·les collaborent autour d’un projet individuel transdisciplinaire. Les familles et les pairs-aidants sont impliqués dans l’équipe, pour l’évaluation et l’intervention.

Cette approche suppose la mise en place de moyens comme les passeports de communication qui regroupe les informations d’une personne, les cahiers de vie qui contiennent des photos des différentes expériences de la personne dans ses différents contextes de vie ou encore de grilles d’observation et d’évaluation qui peuvent être remplies par l’ensemble des partenaires de communication.

3. Former des familles, pairs-aidants et professionnel·les

Priorité à la formation initiale et continue des professionnel·les à propos de la CAA.

Le réseau entend contacter:

  • les hautes écoles romandes pédagogiques et sociales et les Universités pour promouvoir la formation initiale des logopédistes, ergothérapeutes, psychologues, éducateurs et éducatrices et enseignant·es spécialisé·es. Il sera également question de leur proposer la création d’un CAS à propos de la CAA.
  • les associations professionnelles et les lieux de formation impliqués dans la formation continue pour intégrer la CAA dans leurs catalogues de formation.

Le réseau se propose aussi de diffuser les possibilités de formation en CAA en Suisse romande. INSOS a déjà élaboré une liste des formations disponibles en Suisse romande. L’association ISAAC Francophone propose un catalogue de formation à propos de la CAA, pour des personnes individuelles (professionnelles ou non) comme pour des institutions.

La création d’un module d’e-learning en collaboration avec les centres de formation a également été abordée.

4. Établir une procédure de certification

ISAAC Francophone a développé un projet de certification [FS1] qui a été validé par France Compétence. Deux modèles de certification ont été définis.

  1. Modèle 1. Ce modèle est destiné aux professionnel·les, aux personnes proches-aidantes et aux familles en contact avec des personnes en situation de handicap de la communication souhaitant acquérir les connaissances de base en CAA.
  2. Modèle 2. Ce modèle concerne les personnes-ressources en CAA. Cette certification garantit leur capacité de:
  • mettre en œuvre une approche générale de la CAA,
  • analyser les besoins d’une personne afin de définir son projet de communication.
  • garantir la capacité de concevoir des stratégies de communication expressive et réceptive
  • implémenter, élaborer et personnaliser un ou des moyens de CAA adaptés.

La Commission romande d’ISAAC Francophone s’est engagée dans la réflexion menée par ISAAC Francophone à propos d’une procédure de certification romande en CAA. Le déploiement de cette démarche certifiante sur le sol romand est également un objectif du réseau romand.

5. Établir une procédure de qualité

Les questions de la formation et de la certification vont de pair avec la question de la qualité. Il s’agit de recueillir les modèles de procédure de qualité des différents cantons afin de définir des critères qualité CAA implémentables sur le sol romand.

Dans chaque canton, il existe des procédures qualité à destination des institutions. Cependant, ces dernières ne comportent pas ou très peu de critères liés à la communication.

Il est essentiel qu’au même titre que les normes d’hygiène, l’accessibilité des locaux aux personnes présentant un handicap moteur, de la qualité des enseignements pédagogiques, les organisations s’engagent dans des procédures qualité à propos de la CAA. Les organisations devraient s’engager à procéder à une évaluation régulière des pratiques de la CAA en leur sein.

Le réseau se propose de définir un standard qualité du déploiement de la CAA dans les organisations sur le modèle de la liste de contrôle. Le réseau veut également diffuser des outils d’évaluation de la qualité, comme le questionnaire qualité élaboré par les réseaux CAA en Suisse alémanique (UK-Netzwerke) et par l’association de CAA de langue allemande (Gesellschaft für Unterstützte Kommunikation e.V., Regionalgruppe Schweiz) et traduit par INSOS.

6. Assurer une veille scientifique

Le réseau pourrait s’engager dans une veille scientifique en se tenant à jour des publications récentes à propos de la CAA (Revue AAC, ouvrages…).

Le réseau pourrait également prévoir des journées d’étude et des conférences à propos de la CAA, à propos de différents thèmes (CAA et littératie, pratiques validées par des approches Evidence-Based…). Il pourrait également encourager le développement de publications, de projets de recherche et de réseaux académiques en Suisse romande, sur le modèle de PART21 pour la Trisomie 21. Pour ces derniers objectifs, la collaboration avec des laboratoires de recherche (universités, hautes écoles pédagogiques et sociales…) et des fondations comme la Fondation pour la Recherche pour les personnes avec Handicap (FRH) resterait à développer.

7. Sensibiliser la société à propos de la CAA

Enfin, il a été proposé de développer du matériel de sensibilisation de la CAA. Par exemple:

  • Créer une plaquette relative à la CAA à destination des responsables d’institution pourrait rappeler le lien de la CAA avec la CDPH. Ce document pourrait mentionner le rapport de la Croix Rouge Française ainsi que d’études montrant l’impact positif de la CAA.
  • Organiser régulièrement une journée de rencontre ouverte au grand public. À cette occasion, un communiqué de presse pourra être envoyé. Des événements destinés au grand public pourraient être organisés, à l’image des événements proposés en novembre 2021 par la Commission romande d’ISAAC Francophone, comme la lecture multimodale proposée à la Bibliothèque de la Ville de Fribourg (Memo) à l’occasion de la Nuit du Conte organisé par l’ISJM ou le projet d’installation de tableaux de communication dans les lieux publics financé par le Service de la prévoyance sociale de l’État de Fribourg.
  • Rechercher des parrainages. Des personnes publiques, politiques et autres seraient susceptibles d’accroitre la visibilité du réseau.

 

Version originale du 31 janvier 2022 disponible sur le site plandaction-cdph.ch.

 

 

Notre auteur invité

Stéphane Jullien est logopédiste au Home-École Roman et à la Fondation Les Buissonnets à Fribourg qui accueillent des enfants présentant une déficience intellectuelle.Et à la Cité du Genévrier et à la Fondation Eben-Hézer qui accueillent des adultes. Il est aussi docteur en sciences du langage, chargé d’enseignement à l’Institut des sciences logopédiques de l’Université de Neuchâtel, formateur en CAA, membre du CA d’ISAAC Francophone et chargé des commissions Romandes et Formation.

 

Vous voulez en savoir plus sur la CAA en Suisse romande?

Vous pouvez contacter:

 

Informations sur la journée du 8 octobre 2021

Le 8 octobre, la Commission romande d’ISAAC Francophone et INSOS ont organisé à Lausanne une journée d’échange à propos de la Communication Alternative et Améliorée (CAA) au sein des institutions. Cette journée a rassemblé des responsables d’institutions localisées dans les différents cantons romands accueillant des enfants ou des adultes présentant différents handicaps, des acteurs impliqués dans la CAA en Suisse (Active Communication, FSCMA), des associations spécialisées dans le droit des personnes en situation de handicap, des associations regroupant les prestataires de service accueillant des personnes en situation de handicap et d’autres associations impliquées dans la sensibilisation à différents troubles (Autisme Suisse, Petit Conservatoire du Polyhandicap, Groupe de Réflexion du Polyhandicap).

Compte-rendu complet et autres documents

Vous pouvez lire le compte-rendu complet de la journée sur la page CAA du Plan d’action CDPH. Vous y trouvez aussi d’autres ressources sur la CAA: comme le guide CAA avec les offres de formation et la liste de contrôle CAA (check-list).

Voir la page CAA

 

 

 

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