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CORONAVIRUS | Comment la crise nous affecte?

17 avril 2020
Comment la crise actuelle affecte-t-elle le personnel des institutions? Et les personnes en situation de handicap? Et comment gérer au mieux les émotions provoquées par cette crise? Simone Rychard, psychologue et responsable du bureau Lieux de vie, explique les effets de la crise et présente des stratégies pour nous aider à faire face.

1. Effets sur les personnes avec une déficience intellectuelle

Avec ou sans handicap, nous avons tous les mêmes besoins fondamentaux. Cependant, les individus avec difficultés cognitives font face à des défis très particuliers dans le cadre de la crise actuelle due au coronavirus.

Je pense ici tout d’abord à des compétences cognitives importantes qui permettent de comprendre et d’évaluer une situation. Ces possibilités sont limitées chez les personnes avec une déficience intellectuelle ou même absentes en cas de handicap très prononcé.

Même pour les personnes sans handicap, il est déjà difficile de comprendre vraiment ce qu’est ce virus abstrait et invisible.

Cela signifie que ces personnes ressentent les changements actuels dus à la crise et éprouvent directement les mesures de restriction tout en ne pouvant comprendre leurs causes que de manière limitée, voire pas du tout. Même pour les personnes sans handicap, il est déjà difficile de comprendre vraiment ce qu’est ce virus abstrait et invisible.

Essayez d’imaginer la situation que de nombreuses personnes avec handicap vivant dans une institution doivent supporter: vous ne pouvez plus voir vos proches ou leur rendre visite, mais vous ne pouvez pas comprendre pourquoi. C’est un drame personnel!

Cela peut déclencher des sentiments de frustration, de colère, d’impuissance, d’inquiétude et de peur qui peuvent même aller jusqu’à la panique.

La perte de contrôle décrite ci-dessus est donc vécue bien plus intensément en raison de cette absence de compréhension.

  • Cela peut déclencher des sentiments de frustration, de colère, d’impuissance, d’inquiétude et de peur qui peuvent même aller jusqu’à la panique.
  • S’il manque en plus des possibilités de communication et de réflexion, de tels sentiments peuvent par exemple s’exprimer par un repli sur soi et des humeurs dépressives, mais aussi par des tensions accrues et des comportements agressifs.

Pour reprendre le contrôle, il faut comprendre la situation. Nous sommes donc tenus de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire comprendre aux personnes avec une déficience intellectuelle la crise actuelle d’une manière adéquate et correspondant à leur développement. Il faut formuler des informations dans un langage simplifié. Il faut utiliser des vidéos et des images, ainsi qu’à toute autre possibilité pouvant faciliter la communication.

Pour reprendre le contrôle, il faut comprendre la situation.

Dans la crise actuelle, les personnes avec et les personnes sans handicap cognitif passent donc par des états émotionnels similaires.

  • Les ressources dont elles disposent pour gérer ces sentiments constituent toutefois une différence importante. Dans la régulation de leurs émotions, les individus avec handicap cognitif présentent souvent des compétences qui ne correspondent pas à leur âge. En ce qui concerne leurs possibilités de gérer leurs sentiments, ils se trouvent à un niveau de développement plus bas que les personnes de leur âge sans handicap.
  • Dans le même temps, de nombreuses personnes avec handicap cognitif sont très sensibles à l’état émotionnel de leurs pairs. Elles ressentent les tensions, les incertitudes et les peurs de leurs proches, des autres résidents ou des accompagnants, mais elles peuvent ensuite être dépassées par ce qu’elles perçoivent. J’estime qu’il est extrêmement important de prendre en compte cet état de fait dans la crise actuelle et que nous devons accompagner étroitement les personnes avec handicap au niveau de ces émotions.

Un autre point à mentionner est que les personnes avec une déficience intellectuelle ont souvent plus de difficultés à accéder à une gestion constructive de la crise. Il se peut que les possibilités d’entretenir les relations avec d’autres canaux soient absentes ou qu’à cause du type de handicap, il soit plus difficile de se créer de nouvelles possibilités qui redonnent du contrôle et de l’orientation. De même, en raison du handicap, les possibilités de nouvelles activités qui apportent du plaisir peuvent être limitées ou encore, le besoin personnel de soutien rend impossible un accroissement de l’estime de soi dans les occasions où l’individu avec handicap pourrait apporter son aide à d’autres personnes.

Néanmoins, même lorsque cet accès est plus difficile, il n’est toutefois pas totalement impossible. C’est pourquoi je rappelle volontiers ce point: il est de notre devoir de trouver avec les personnes en situation de handicap cognitif des solutions appropriées qui permettent de satisfaire ces besoins essentiels. De mon point de vue, cela correspondrait à un accompagnement pédagogique et socio-éducatif qui est absolument nécessaire, d’une manière générale, mais aussi tout particulièrement dans la crise actuelle.

Cette crise nous offre peut-être l’occasion de reconsidérer les approches parfois non conventionnelles des personnes avec une déficience intellectuelle et de les intégrer comme une ressource.

Et peut-être la crise nous offre-t-elle aussi l’occasion de reconsidérer les approches parfois non conventionnelles, mais souvent extrêmement créatives et inventives des personnes avec une déficience intellectuelle et de les intégrer comme une ressource? Je trouve que cela serait un très bel effet secondaire de la crise engendrée par le coronavirus.

2. Effets sur le personnel accompagnant

Les effets de la crise actuelle sur les personnes de référence peuvent être très différents, en fonction des conditions et des ressources personnelles.

Dans les institutions, beaucoup de professionnel·le·s doivent appliquer des mesures restrictives. L’explication de ces règles aux personnes avec une déficience intellectuelle, mais aussi leur devoir les imposer lorsqu’elles sont mal comprises, peuvent représenter un lourd fardeau ou même engendrer une impression d’échec chez le·la professionnel·le. Un fort sentiment d’impuissance peut donc aussi être ressenti de ce côté. De plus, le personnel accompagnant est souvent proche des personnes ayant besoin de soutien et est souvent directement exposé aux sentiments (p. ex. colère, inquiétude, peur) et comportements (p. ex. repli sur soi, comportements agressifs) décrits plus haut.

Outre les instructions socio-éducatives, il en existe donc de nouvelles instructions à suivre. 

De même, les professionnel·le·s doivent continuer d’assurer des situations de soin avec un contact physique parfois étroit, tout en respectant au mieux les règles d’hygiène en vigueur. Outre les instructions socio-éducatives, il en existe donc de nouvelles instructions à suivre. Le personnel doit également faire preuve de créativité lorsqu’il s’agit de remplacer les routines ou les structures quotidiennes par de nouveaux contenus. À cela viennent s’ajouter les absences des collègues pour cause de maladie, potentielles ou effectives, ou la nécessité d’aller renforcer un autre groupe, dans un autre domaine. Cela a également des effets sur le plan opérationnel et sur la vie privée.

C'est un délicat numéro d’équilibriste qui peut mettre à rude épreuve. 

Assister et mettre tout cela en œuvre de façon professionnelle en tant qu’accompagnant, tout en ayant à se préoccuper de sa propre santé: voilà un délicat numéro d’équilibriste qui peut mettre à rude épreuve. C’est justement ce dernier point qui rend la crise du coronavirus extraordinaire: dans leur travail quotidien, les collaborateurs et collaboratrices doivent apporter leur soutien à d’autres personnes en tant que professionnel·le·s, mais dans le même temps, ils sont toujours exposés à une éventuelle infection par le virus (ou risquent de contaminer eux-mêmes les personnes accompagnées). Il n’est pas facile de gérer cette simultanéité.

Dans de nombreuses institutions, le personnel fournit donc actuellement un effort considérable avec un grand engagement, ce qui m’impressionne beaucoup.

3. Les bonnes attitudes face à la crise

Une équipe qui a déjà pratiqué et entretenu auparavant un esprit d’équipe attentif et minutieux peut tirer parti de la crise actuelle: se soutenir les uns les autres, en particulier dans la mise en œuvre adéquate des instructions, se percevoir mutuellement et remarquer à quel moment un collègue touche à ses limites ou présente des symptômes de stress. Une culture de discussion ouverte ne peut être que bénéfique.

Les professionnel·le·s doivent mettre en œuvre les règles et les instructions de la manière la plus cohérente possible. Cela renforce  le sentiment de sécurité et permet d’éviter un surplus de nervosité.

Un style de direction sachant montrer de l’estime, mais aussi très clair, est actuellement essentiel. Les règles à mettre en œuvre déclenchent des réactions diverses chez le personnel. Certaines instructions sont approuvées par certain·e·s et rejetées par d’autres. En outre, quelques professionnel·le·s peuvent se retrouver comme paralysé·e·s, en état de choc, tandis que d’autres pourraient faire preuve d’un activisme excessif. Par contre, dans une crise telle que nous la vivons, le temps manque pour des discussions approfondies. Il faut mettre en œuvre et agir maintenant. Le fait que tous les professionnel·le·s mettent en œuvre les règles et les instructions de la manière la plus cohérente possible renforce également le sentiment de sécurité de la clientèle et permet d’éviter un surplus de nervosité et de confusion.

Plus tard, lorsque des temps plus calmes seront revenus et que le plus gros de la crise sera surmonté, il sera alors important de discuter ensemble de ce qui s’est passé et de faire le point. Cela vaut aussi bien pour le personnel qualifié que pour les personnes accompagnées en situation de handicap. Sinon, des problèmes pourraient subsister et affecter les personnes concernées ainsi que les processus internes de l’établissement.

A cette occasion, je tiens à préciser que les indications données ci-dessus s’appliquent également aux personnes de référence dans le milieu familial. De nombreux parents, frères, sœurs, tantes et oncles de personnes avec handicap cognitif font actuellement preuve d’un engagement extrême et vivent des situations difficiles à la maison. Pendant la crise, de nombreux parents accompagnent leurs enfants en situation de handicap 24 heures sur 24 car les offres existantes ont été supprimées d’un jour à l’autre. Beaucoup ne peuvent en conséquence pratiquement plus exercer leur métier actuel, ne peuvent partager avec personne le travail de soins et d’accompagnement physiquement et moralement éprouvant, et ne reçoivent aucune aide financière. A cela vient s’ajouter le lien émotionnel et familial avec la personne en situation de handicap, qui peut même éventuellement faire partie d’un groupe à risque. Les soucis par rapport à la santé d’une personne aimée sont un fardeau supplémentaire dans cette situation déjà exceptionnelle.

Il s’agit donc maintenant de faire preuve de reconnaissance à toutes les personnes accompagnantes.

Il s’agit donc maintenant de faire preuve de reconnaissance et de fournir un soutien adéquat à tous les accompagnant·e·s, qu’ils soient des professionnel·le·s ou des proches. Il est important que nous trouvions rapidement les solutions qui conviennent.

4. Conseils pour le personnel accompagnant

J’ai déjà brièvement abordé certains points ci-dessus, en particulier au sujet des relations au sein des équipes. C’est volontiers que je propose ici encore quelques suggestions. Chaque personne décidera par elle-même ce qu’elle considère comme un véritable soutien.

  • Le travail en équipe a comme avantage que l’on n’est pas seul lorsque survient une crise. Remémorez-vous régulièrement que vous ne devez pas supporter et maîtriser seul cette situation de crise. Entretenez sciemment la collégialité, même si vous ne disposez que de très peu de temps et qu’il faut respecter les distances physiques.
  • Exigez des instructions claires de la direction. Il peut aussi être bon d’avoir la possibilité de se décharger ponctuellement de certaines responsabilités et de suivre des instructions de manière systématique. Discutez avec votre employeur si vous avez des doutes sur la conduite à tenir dans le cas où vous présenteriez vous-même des signes de maladie.
  • Parlez avec une personne de confiance de vos expériences actuelles et des pensées qui vous préoccupent. Si le temps passé en équipe ne suffit pas, la sphère privée en offre peut-être l’occasion. Ce faisant, respectez toutefois impérativement le secret professionnel en tant que personne accompagnante et protégez ainsi la vie privée des clientes et des clients accompagnés. Ces principes d’éthique professionnelle ne sont pas rendus caducs par la crise actuelle.
  • Prenez soin de vous. Faites attention aux symptômes de stress que vous pourriez ressentir ou demandez à une personne de confiance de vous «surveiller». Faites chaque jour des choses qui vous font du bien et qui vous font plaisir.
  • En cas de stress, respirez plusieurs fois profondément et attendez quelques secondes entre l’inspiration et l’expiration. Ou tendez sciemment certains de vos muscles puis relâchez-les après un petit moment. Répétez plusieurs fois cette procédure avec les mêmes muscles avant de passer à une autre partie du corps.
  • Soyez attentif·ve à votre entourage et parlez à vos collègues si vous remarquez des changements dans leur comportement ou des signes de stress.
  • Et soyez pleinement conscient·e que vous faites chaque jour un travail incroyablement précieux et que vous réalisez des choses extraordinaires durant cette période extraordinaire. Merci infiniment!
 

L'auteure invitée

Simone Rychard est psychologue et dirige le bureau Lieux de vie, un service d'Insieme Suisse. Ce bureau offre des conseils et un soutien psychologique aux personnes avec une déficience intellectuelle vivant dans des situations de vie difficiles et à leurs proches. Le bureau est également à la disposition du personnel accompagnant pour de brefs conseils, des informations et la médiation de contacts.

Bureau Lieux de vie 







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